Mardi, Herman Melville.
Autodidacte et plus haut sens.

Literensics
littérature & haut sens

    La mystification par la description sensible et romanesque; l'extrait ouvre un passage entre le monde réel et un monde onirique (savoir les codes de la littérature romanesque, des sciences...) pour finir par un retour cruel à la réalité, une ironie et une démonstration de la futilité des codes scientifiques, littéraires et romanesques


1- Yillah : une multiplicité des sens et des interprétations
→ Melville excite la curiosité du lecteur, qui est Yillah, d'où vient ce nom.
→ des références astronomiques, mythologique, voire scientifiques
Des indices disséminés dans tout l'extrait.

2 le style : vers une mystère ou une mystification ?
→ un catalogue de figure de style au service du lecteur : percevoir et sentir plus que réfléchir et raisonner : une image du paradis sur la terre mardienne
→ des clichés romanesques(utilisation des clichés du roman d'aventures et de l'éden biblique)
→ Un style lyrique et flamboyant : Melville, même s'il cède aux clichés, révèle son génie littéraire

3-la symbolique de l'éternel retour : l'utopie trompeuse du savoir, des codes littéraires.
Ce monde utopique n'est qu'une mystification.
->L'ironie de Melville, la mythologie Melvillienne., la rotation du moi
->Melville raconte la fin du livre au premier tiers
C'est le voyage qui compte plus que la destination.



La rencontre avec Yillah va déclencher la quête du héros dans le roman Mardi.


Personnage mystérieux ou plutôt proto-personnage à vocation catharsique (dans le sens tragique), la description du personnage d'Yillah et de ses origines marque une rupture dans le roman d'Herman Melville.
3ème ouvrage de l'auteur, Mardi marque le désir d'abandonner les rivages du récit traditionnel de voyage, avec en contre-point la volonté quelque peu provocatrice de bousculer les habitudes littéraires des lecteurs de son époque.

Soupçonné d'avoir inventé certaines parties de ses précédents ouvrages (« Typee » et « Omoo »), pourtant écrits avec une volonté de réalisme auto-biographique, l'apparition du personnage de Yillah fait basculer l'oeuvre du jeune écrivain dans la fiction pure.
Melville brouille les pistes, joue avec le lecteur, qui finit par se demander qui est le narrateur dans Mardi : l'auteur lui-même ou le héros du roman.

Ce héros de roman, qui n'est pas encore un demi-dieu, a sauvé après une action romanesque Yillah, une femme captive étrange destinée à être sacrifiée.
La description du personnage et du monde d'origine de la belle captive proposés au commentaire sont emprunts de mystère, et invitent, comme toute l'œuvre Mardienne, à une intense herméneutique de la part du lecteur.
Escortés par une faune conduisant symboliquement au monde spirituel de Mardi (l'escorte des poissons pilotes, pourchassée un temps par un espadon -symbole de la réalité où des requins du monde éditorial ?), le héros et ses compagnons nous préparent à notre fabuleux périple vers la subtilité et le foisonnement allégorique du génie Melvillien, bien loin des simples récits de voyage, tels que Cook ou Bougainville avaient pu en produire.

Précisément, la description du monde de Yillah se place immédiatement après un double meurtre allégorique. L'épisode « Un homme à la mer »- ruse qui permet au héros de s'échapper de la baleinière- marque le départ de l'odyssée spirituelle, en abandonnant le côté descriptif, réel, sans masque, sans mensonge possible de la vie de marin.

Le meurtre du prêtre précipite le récit vers le mystère de l'origine de la passagère, du caractère infernal des poursuivants vengeurs, et déclenche une quête initiatique.Cette tension dramatique ne sera en réalité qu'un prétexte à l'unité du roman, cohérence qu'il faudra chercher ailleurs, paradoxalement dans la fluidité des éléments spatio-temporels de l'oeuvre.

Ainsi, comme nous allons le voir, Melville mystifie son lecteur, en excitant notre curiosité, par le choix du nom de son héroïne, en utilisant et abusant des codes littéraires du romanesque de son époque, pour finalement boucler la boucle et révéler que le voyage compte plus que la destination, la forme n'étant qu'une illusion.

Mardi, Herman Melville.
Autodidacte et plus haut sens.

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1.Yillah : une multiplicité des sens et des interprétations



D'emblée, le nom d'Yillah titille la curiosité du lecteur. Ce nom n'est pas polynésien, le personnage d'Yillah est totalement anachronique dans ce début d'aventure.

Yillah semble plus tard se décliner sous plusieurs formes : tel un proto-personnage donnant naissance à un être à la fois unique et multiple : Vénus, Hautia, sirène sous sa forme légendaire ou sous sa forme ichthyique, comète... ne serait-elle pas simplement la personnification de l'état de création de l'écrivain ?
Un lecteur curieux cherchera à comprendre pourquoi Melville a choisi de prénommer cette mystérieuse femme Yillah.

Melville nous invite à réfléchir savamment sur l'origine du nom Yillah.

Déjà une confusion s'annonce : ce nom ou prénom serait-il un demi-palindrome ?

Yillah pourrait effectivement être le demi-palindrome de Halley, nous renseignant sur le caractère brumeux, éthéré et cosmique du personnage à l'instar de la comète de Halley.

En allant plus loin, on peut aussi penser que Melville connaissait la vie et l'oeuvre d'Edmund Halley. Le scientifique anglais, dès 16 ans, osa écrire aux plus grands astronomes de son époque, mit de côté l'obtention d'un diplôme, s'engagea dans un long périple maritime, et revint en Angleterre avec une carte extraordinairement détaillée du ciel austral.
Autodidaxie et passion pour l'astronomie, 2 pistes pouvant valider l'hypothèse du demi-palindrome, hommage de Melville à un scientifique qu'il admirait (Halley conceptualisa également l'utopie romanesque de la terre creuse).

Cette hyphothèse fait-elle sens dans l'extrait :

Yillah serait une jeune femme à la beauté éclatante, à la psychologie mystérieuse. Beauté d'une comète, éblouissante mais porteuse de mort, messagère mais message en elle-même.

La comète est -en sciences comme dans la mythologie- riche de sens, un élément narratif savoureux pour Melville, qui cherche continuellement à mettre le lecteur au centre de la quête mardienne.


Les comètes ont de plus souvent été craintes, sacralisées.


Elles sont la plupart du temps représentées avec une longue chevelure, blanche et éthérée (« leurs cheveux sont dorés »).

Cette queue cométale traduisant à la fois leur passage dans le champ (attraction) héliosphérique et dans le chant (électromagnétique) solaire (ionisation de la queue en un long panache délétère).

Mardi est parsemée de référence aux étoiles et constellations, on peut donc oser aller plus loin, en considérant le héros narrateur, Taiji, comme un héros solaire (il se proclame « descendant » du soleil), un voyageur astral, qui par sa force gravitationnelle, aurait réussi à arracher Yillah de sa ceinture météoritique, parviendrait à la capturer pour quelques temps dans son orbite, pour enfin la voir disparaître, simple corps céleste errant soumis à des forces cosmologiques infiniment supérieures à l'attraction solaire.

On comprendrait alors pourquoi le roman resterait dans son ensemble si mystérieux, au-delà de certains passages renvoyant à des actualités contemporaines.


Les origines, les buts, les fonctions, la nature des comètes nous sont inconnus, elles ne connaissent pas nos limites terrestres, vivent au-delà de l'horizon de nos temps humains, obéissent et souvent échappent à la science des hommes (cycle d'apparition périodique puis disparition mystérieuse- « appartiennent à une sphère lointaine[...]faire leur apparition sur terre que grâce à une irrégularité dans la providence des dieux »).


La description d'Ardair rappelle ce côté merveilleux qui peut se rapporter à la cosmogonie et la symbolique des comètes (cf E. Poe « la cosmogonie de l'univers »).

Mais Yillah symbolise aussi un idéal. Il est facile de de personnifier en Yillah la Muse, l'inspiration, un idéal féminin, qui n'est pas sans rappeler la déesse de l'amour, Vénus.

La description de la vallée rappelle fortement la peinture de Botticelli (« la naissance de vénus »).L'apparence de Yillah, pâle, aux longs cheveux blonds en fait une Vénus probable.

De plus, la peinture de Botticelli met en scène Zéphir (dieu du vent, personnifiant le hasard) -qui a conduit Yillah vers Taiji ?-, et Hora, une des 4 déesses du temps accueillant Vénus en la couvrant d'un vêtement (la toile du canoë) – serait-ce une « Hautia », qui plus tard sera une déclinaison de Yillah ?- chargée également de toute une symbolique florale (roses, fleurs blanches, bleuets...).

Yillah serait le symbole du printemps, du renouveau, de l'amour et de la beauté.

Le roman Mardi serait donc une romance. L'oeuvre, une coquille Saint-Jacques (« les bords d'un coquillage ») portant l'inspiration et l'amour comme le pélerinage éclaire le chemin du croyant; le pèlerin étant dans ce cas le lecteur profane, et la fin du pélerinage la révélation de la vérité de l'homme, en dehors de tout dogme religieux.

Melville multiplie encore les pistes, égare son lecteur : Yillah pourrait être une descendante éloignée de« La reine des fées », héroïne du poème épique d'Edmund Spenser (16ème siècle), qui inspira nombre de poètes romantiques du 19è siècle.

Image de la vertu, Yillah serait inaccessible et virginale, et symboliserait la propre quête de l'auteur, à la recherche la vérité littéraire, cette force créatrice qui se justifierait par elle-même, au delà de toute connaissance ou de toute vaine érudition.

Enfin, l'étymologie du mot Yillah pourrait compléter ce tableau particulièrement complexe.
Le prénom Yillah était à une certaine époque très prisé par les anglo-saxons. Il a pour origine le mot aborigène cicada, soit simplement la « cigale ». La particularité de cet insecte est de pouvoir rester à l'état larvaire pendant des années (« tout était si mortellement immobile », avant de se transformer en « adulte parfait » (terme scientifique) au terme d'un processus dit de mue « imaginale » ou imago.

Il est une fois de plus tentant de comparer l'état de captivité dans Ardair, puis la sortie de la prison dorée qui conduira au sacrifice de Yillah, à la longue vie larvaire de la cicadida/cicada qui se transformera en adulte parfaite pour se reproduire pendant un mois, et enfin mourir.

Pour terminer sur la symbolique du prénom, il convient aussi de rappeler que la cigale est le symbole de la vie éternelle et de résurrection dans l'au-delà.

L'auteur nous éblouit avec son savoir, nimbe son héroïne de mystère et nous invite à découvrir par nous même la signification de son nom.



2-le style : vers un mystère ou une mystification ?



Mais ce n'est pas suffisant, Hermann Melville nous entraîne dans un décorum savoureux, et osons-le dire, particulièrement kitsch, déployant un large éventail de figures de style.

Tout d'abord, une prétérition : « de sa beauté, je ne dirai rien » suivie d'une magnifique description, faisant plus allusion à un paysage qu'à un être humain.
Quelle ironie ! Commencer à indiquer au lecteur que l'on ne va pas évoquer la beauté d'Yillah pour ensuite la décrire par des détours dignes du plus grand des écrivains romanesques.


Ce n'est plus une description littéraire mais une véritable peinture néo-classique, qui va faire appel à tous les sens du lecteur. On devinerait presque la volonté de Melville.

Nous devons sentir le personnage, en mobilisant toutes nos connaissances; qu'elles soient d'origines judéo-chrétienne pour les lecteurs de l'époque (l'image du paradis perdu), ou plus largement, romanesques ( la préciosité du style tourmenté jusque dans les circonvolutions des lianes : « d'étranges lianes […] anacondas » p.142).

Mardi, Herman Melville.
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